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Sous l’impulsion de la jurisprudence européenne, le Conseil d’Etat a pris le 6 novembre 2019 une décision visant à contraindre le gouvernement à supprimer l’interdiction de publicité pour les médecins. Cette décision va considérablement assouplir les règles relatives à la communication des médecins et à la gestion de leur e-réputation.

On vous explique pourquoi l’interdiction de publicité va à l’encontre des enjeux de e-réputation pour les médecins et comment la jurisprudence européenne a poussé les instances juridiques françaises à se prononcer pour la fin de cette interdiction.

Sommaire

  • Avis Google, e-réputation: des enjeux pour les médecins
  • Interdiction de la publicité pour les médecins: elle encadre strictement leur présence en ligne
  • Vers la fin de l’interdiction de la publicité pour les médecins
  • Une évolution rassurante pour la e-réputation en ligne des médecins

Avis Google, e-réputation: des enjeux pour les médecins

Aujourd’hui, les avis et les notes sur Google font et défont la réputation des professionnels de santé. De bons avis incitent largement les patients à prendre rendez-vous. En revanche, les avis négatifs peuvent totalement les faire fuir. La réputation des médecins sur internet est donc devenue un enjeu majeur pour tout médecin qui souhaite s’installer ou simplement maintenir son activité. Les usages d’internet ont fait évoluer les pratiques concernant la communication des activités médicales, mais elles se heurtent à l’interdiction de publicité.

Interdiction de la publicité pour les médecins: elle encadre strictement leur présence en ligne

En effet, le code de déontologie médicale, figurant dans le code de la Santé Publique, interdit sous l’article 19 toute publicité pour les médecins. Selon le Conseil national de l’ordre des médecins (CNOM), cette interdiction pose un cadre stricte quant à la présence en ligne des médecins. Dans son rapport de 2016 “Le médecin dans la société de l’information et de la communication », le CNOM affirme que la déontologie médicale ne s’oppose pas à la diffusion et à l’actualisation d’informations de portée générale sur le site internet personnel du médecin. En revanche, le CNOM condamne l’incitation à la publication de commentaires sur les sites des praticiens. « L’attribution d’étoiles via des applications” est également bannie. Il considère que ces pratiques entrent dans une activité publicitaire. 

Paradoxalement, il publie en 2018 un “guide pratique” pour aider les médecins à gérer leurs avis en ligne et améliorer leur réputation. Cela témoigne d’un décalage entre la réalité des pratiques internet et les recommandations du CNOM en termes de déontologie médicale. Mais la loi relative à la publicité pour les médecins est en passe de subir des évolutions majeures. Elles semblent largement favorables aux nouvelles pratiques liées au numérique.

Vers la fin de l’interdiction de la publicité pour les médecins

Officiellement, en tant que médecin, il vous est aujourd’hui impossible de faire de la publicité pour vous ou votre cabinet. En effet, l’article 19 du code de déontologie médical interdit “tous procédés directs ou indirects de publicité et notamment tout aménagement ou signalisation donnant aux locaux une apparence commerciale”. Si la publicité est interdite par le code de déontologie, ce terme (“la publicité”) n’est pas défini par le Code de la Santé Publique. Selon la jurisprudence, il s’agit de “la communication faite dans le cadre d’une activité commerciale, industrielle, artisanale ou libérale dans le but de promouvoir la fourniture de biens ou de services et favoriser le développement de l’activité concernée”. En vigueur depuis 1947, cette législation n’a jamais été remise en cause jusqu’à ce que la jurisprudence européenne conduise à faire évoluer la loi française.

2017: Evolution de la jurisprudence européenne

Le 4 mai 2017, l’arrêt Vanderborght rendu par la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) marque un tournant dans l’interdiction de la publicité pour les médecins. En effet, sur renvoi préjudiciel d’une juridiction belge, la CJUE a jugé que toute législation nationale “qui interdit de manière générale et absolue toute publicité relative à des prestations de soins buccaux et dentaires” est en opposition avec les traités européens. C’est l’article 56 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne qui est concerné. Celui-ci stipule que “les restrictions à la libre prestation des services à l’intérieur de l’Union sont interdites à l’égard des ressortissants des Etats membres établis dans un État membre autre que celui du destinataire de la prestation (…) « .

2018: Le Conseil d’Etat recommande l’abrogation de cette interdiction 

En réaction à la jurisprudence de la CJUE, le Conseil d’Etat publie en juin 2018 une étude. Elle juge que l’interdiction de la publicité est “susceptible d’être affectée par l’évolution de la jurisprudence européenne”.Dans ce contexte, le Conseil d’Etat propose “de supprimer l’interdiction de la publicité directe ou indirecte dans le code de la santé publique” . Il est aussi question de “poser un principe de libre communication des informations par les praticiens au public ». Il préconise également d’étendre la communication des professionnels de santé à trois domaines : leur biographie professionnelle, leurs compétences et pratiques professionnelles, ainsi que les informations pratiques relatives à leur activité, comme les horaires de leur cabinet ou les équipements dont il dispose.

2019: L’Autorité de la concurrence émet un avis favorable à l’assouplissement de la législation

En 2017, le Conseil de l’Ordre des médecins et le Conseil national de l’Ordre des chirurgiens-dentistes ont découvert l’existence de ventes de prestations effectuées par des médecins et chirurgiens-dentistes par la société Groupon. Celle-ci exploite une plateforme d’intermédiation permettant l’achat de produits ou services à des tarifs attractifs via un système d’achats groupés. Suite à cette découverte, ils ont débuté des actions de boycott contre Groupon, l’accusant de mettre en avant des pratiques publicitaires contraires à la déontologie médicale. L’Autorité de la concurrence a été saisie par cette société et a rendu sa décision le 15 janvier 2019. Elle s’est avérée largement favorable à l’assouplissement de la législation encadrant la publicité chez les médecins. En effet, l’Autorité de la concurrence a décliné sa compétence au profit de juge administratif, tout en insistant sur « la nécessité de modifier, à brève échéance, les dispositions relatives à la publicité, afin de tenir compte de l’évolution de la jurisprudence de la CJUE ». Il apparaît à ce moment-là inévitable que les règles encadrant la publicité des médecins s’assouplissent afin de favoriser leur développement et homogénéiser les pratiques européennes.

2019: le Conseil d’Etat saisi la Cour de justice européenne et contraint le gouvernement à lever l’interdiction

A l’occasion d’un recours dirigé par un médecin contre le refus de la Ministre des solidarités et de la santé d’abroger l’article 19 du Code de la santé publique, le Conseil d’Etat prend une décision mettant fin à l’interdiction de la publicité pour les médecins.  En effet, dans un un arrêt du 6 novembre 2019, le Conseil d’Etat juge l’interdiction totale de publicité pour les médecins et dentistes français non conforme au principe de libre concurrence du droit européen. C’est l’article 56 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne qui est mis en cause. Par cette décision, il entend ainsi contraindre la ministre de la Santé à procéder à l’abrogation de l’interdiction de publicité pour les professions de santé.

2020: Le gouvernement français dépose un projet de décret portant modifications à l’article 19 du code de déontologie médicale

Le 10 septembre 2020, le gouvernement français a déposé un projet de décret modifiant l’article 19 du code de déontologie médicale. Il supprime “l’interdiction de la publicité directe ou indirecte” qui existait pour les médecins au profit d’un “principe de libre communication et de publicité”. Bien évidemment, ce projet de décret n’autorise pas n’importe quelle pratique publicitaire. Elle interdit par exemple au médecin de recourir à toute méthode payante de référencement sur internet (type Adwords). Elle exclut également la comparaison avec d’autres médecins ou établissements ainsi que l’incitation à recourir à des actes de prévention ou de soins injustifiés. Néanmoins, le médecin pourra communiquer au public “par tout moyen, y compris sur un site internet, des informations de nature à contribuer au libre choix du praticien par le patient, relatives notamment à ses compétences et pratiques professionnelles, à son parcours professionnel et aux conditions de son exercice”.

Une évolution rassurante pour la e-réputation des médecins

Ce projet de décret ne lève encore pas totalement le voile sur les pratiques autorisées sur le web. En effet, il indique que la communication des médecins ne doit pas faire appel à des “témoignages de tiers”. Mais cet assouplissement de la législation se veut tout de même très rassurant quand aux avis de patients en ligne.

En effet, répondre aux avis de patients sur internet est une pratique courante et demeure aujourd’hui le seul moyen efficace pour éviter que de mauvais avis ternissent votre réputation. Proposer à des patients satisfaits d’émettre un avis sur leur expérience semble entrer dans le cadre d’une communication loyale et honnête. Elle viserait en aucun cas à contraindre le patient à communiquer sur un praticien ou un établissement.

Ces pratiques sont bien loin d’une communication agressive et tape à l’oeil. Répondre aux avis, recourir à des solutions de gestion de réputation ou à des outils numériques comme Google My Business permet aux professionnels de santé de répondre aux nouvelles attentes des patients tout en préservant leur activité. Il est fort de constater que ces pratiques sont vouées à se régulariser et à s’inscrire dans le cadre de la nouvelle législation à venir.